GLAIGNES À LA PRÉHISTOIRE
Le territoire de Glaignes est habité depuis plusieurs dizaines de milliers d’années.
En effet, en 1874, lors des travaux de construction du château de la Garenne, on mit à jour un squelette humain. Les faits furent largement rapportés par M. Virgile Calland, Archéologue et Conservateur du Musée de Soissons.
Voici ce qu'écrit Virgile Calland en 1874 :
Une découverte surprenante
Une découverte qui ne sera peut-être pas sans quelque intérêt pour les amateurs d’archéologie préhistorique, a eu lieu dernièrement dans le parc du château appartenant à M. le vicomte de Chézelles, et où l’on exécute en ce moment de grands travaux d’embellissement, sous la direction de M. Varé, l’habile architecte-paysagiste à qui l’on doit le tracé du bois de Boulogne à Paris, et qui se propose d’en renouveler les savantes combinaisons, dans un cadre, sans doute moins étendu, mais aussi beaucoup plus favorable aux inspirations de l’art.
Or, des ouvriers étaient occupés à miner un massif de terre s’élevant au milieu de ce parc. En s’écroulant tout-à-coup, ce massif mit à jour un squelette humain qu’il contenait, et dont la tête et les ossements vinrent rouler jusqu’aux pieds des terrassiers. Le premier mouvement de curiosité passé, ceux-ci malheureusement et ainsi que cela n’arrive que trop souvent, se mirent à briser et à disperser ces ossements dont ils ne soupçonnaient pas la valeur.
On avait là, en effet, tout semble l’annoncer, représenté, sinon en clair, du moins en os, l’un des plus anciens possesseurs de la terre de Glaignes.
Amené sur les lieux par le hasard et averti de la découverte, nous ne tardâmes pas à reconnaître, par l’examen de quelques ossements encore épars sur le sol, la haute antiquité de cette sépulture et l’importance scientifique qu’elle présentait.
Des restes très instructifs
En effet, les fosses olécrâniennes des humérus étaient perforées ; on sait que cette perforation, que le docteur Broca a, l’un des premiers, signalé, est un des signes qui caractérisent certaines races préhistoriques. De plus, les tibias étaient aplatis en lame de sabre, ce qui est surtout un des traits particuliers de l’organisation de l’homme primitif. Cette forme, si différente de celle des tibias modernes, qui sont triangulaires et prismatiques, accuse, d’après les anatomistes, une infériorité de race. Aussi certains tibias de nègres présentent-ils encore de nos jours une disposition analogue, et l’on sait d’ailleurs que cet aplatissement en forme de sabre est le signe distinctif des singes anthropomorphes.
Enfin, la découverte d’un joli couteau en silex que nous pûmes recueillir parmi ces ossements sur l’emplacement même de la tombe, vint nous donner la date précise de cette inhumation, qui remonte à l’âge de la pierre polie, ce que nous avaient déjà fait pressentir la perforation des humérus et l’aplatissement des tibias.
Ce couteau, fort bien travaillé, est formé d’une lame de silex pyromaque à double tranchant, mesurant seize centimètres de long. Les objets de cette dimension, et aussi bien conservés, sont très rares, et nous en connaissons peu qui soient supérieurs à celui-ci.
Il avait été, selon la coutume de l’époque, déposé près du défunt. L’authenticité de cette lame, blanchie par le temps, a été d’ailleurs parfaitement reconnue par les ouvriers qui, l’ayant prise tout d’abord pour un fragment de côte humaine, l’avaient rejetée sur le sol sans plus d’examen.
Nous avons pu ainsi sauver de la destruction cette précieuse relique, cet antique feuillet de l’histoire de Glaignes, que M. le vicomte de Chézelles a eu la gracieuseté de nous abandonner.
Ce qui est bien regrettable, c’est que la tête de ce corps préhistorique, qui était intacte, ait été détruite en grande partie et perdue pour l’étude. Aujourd’hui, les têtes remontant à cette époque sont l’objet de recherches sérieuses et pleines d’intérêt puisque par l’examen de leur forme, la science actuelle peut, jusqu’à un certain point, déterminer l’état plus ou moins avancé de la civilisation de ces temps reculés.
Quelques fragments de cette tête, que nous avons pu néanmoins réunir, nous ont permis, d’après le peu d’épaisseur du crâne, l’étroitesse du frontal, la petitesse des maxillaires et les contours en quelque sorte féminins des arcades sourcilières et de la racine du nez, de conjecturer, à défaut du bassin, que ce corps devait être celui d’une femme. Aussi avait-elle à ses côtés, un couteau, emblème de la vie domestique, et non la hache du guerrier, comme cela se pratiquait pour les hommes.
Une femme de distinction
Si nous en jugeons même par l’état des dents et par les structures du crâne non encore soudées, cette femme pouvait être âgée de 35 à 40 ans.
Ses dents étaient parfaites de conservation. On a observé d’ailleurs que ces races primitives avaient une denture plus solide et plus belle que la nôtre. C’est qu’en général, plus l’homme se rapproche de l’état de nature, plus les dents sont fortes et brillantes.
Enfin, l’emplacement choisi où elle reposait, le couteau de luxe et d’honneur placé à ses côtés, tout semble indiquer en elle une femme de distinction, la femme sans doute de quelque chef de tribu possédant le territoire de Glaignes.
Quoique sans apparence, sa tombe, creusée dans un limon diluvien jaunâtre et résistant, avait dû être, à l’origine, et selon l’usage du temps, surmontée de quelques grandes dalles formant dolmen, ou protégée par un grand cercle de pierres brutes ; le tout aura disparu sous l’action des siècles et de la culture.
Une tribu préhistorique habitait les lieux
Nous venons d’évoquer un chef de tribu. Une tribu, en effet, existait à Glaignes, bien avant l’arrivée des Gaulois ; nous avons même pu, à l’aide des moyens d’investigation que la géologie et l’archéologie combinées mettent au service des amateurs, retrouver les traces authentiques de cette tribu à demi sauvage qui a formé l’un des premiers noyaux de la population du pays. Tous nos anciens villages, du reste, ont eu la même origine et remontent par conséquent jusqu’à l’âge de la pierre, c’est-à-dire à l’époque où l’homme, ignorant encore l’usage des métaux, n’avait pour tout instrument de travail et de défense que des pierres plus ou moins habilement taillées.
Cette peuplade que l’on suppose « Mongoloïde », stationnait sur les bords du plateau qui domine le parc de M. de Chézelles. Là s’élève et s’étend, entre la vallée de Glaignes et celle de Baillebel, un tertre vaste et aride, tel que les affectionnaient les hommes de l’âge de pierre, qui ne pouvant, en effet, s’établir au milieu des plateaux, privés d’eau, ni habiter les vallées alors noyées et inaccessibles, venaient de préférence s’asseoir sur les bords de quelques promontoire rocheux et dénudé, d’où ils pouvaient communiquer, d’une part avec d’antiques forêts couvrant les hautes plaines et leur offrant des chasses giboyeuses, ainsi que des pacages assurés pour leurs troupeaux, et, d’autre part, avec les vallées où ils trouvaient des sources abondantes et des lacs poissonneux.
Or, sur ce tertre, si bien adapté aux conditions de leur existence, on formait un vaste promontoire qui, d’un côté, par ses escarpements, et de l’autre, sans doute, par une palissade pratiquée vers la prairie, leur permettait, pour s’abriter contre les attaques de l’homme et des bêtes féroces, de transformer cette immense esplanade en un camp retranché, tels que ceux de la même époque que l’on a retrouvés en Belgique. Sur ce tertre, aujourd’hui désert et abandonné, mais autrefois sans doute si animé, nous avons recueilli, en abondance, des silex taillés de tout genre, des grattoirs, des polissoirs, des percuteurs, des nuclei, des couteaux, des têtes de flèches, de beaux fragments de haches polies, et de nombreux débris de pierres calcinées provenant d’anciens foyers, vestiges incontestables et saisissants des populations de l’âge mégalithique.
Le temps a effacé jusqu’aux traces des huttes grossières et fragiles de ces sauvages ; mais le sol a conservé leurs instruments en silex dont la matière indécomposable a bravé les siècles.
La grotte des morts et ses 40 squelettes
Ce qui achève de nous éclairer sur l’existence de cette tribu, c’est le caveau funéraire désigné dans le pays sous le nom de « la Grotte des Morts », et qui, sans aucun doute, servait de lieu de sépulture aux chefs de cette peuplade.
Cette grotte est creusée dans le tuf, au-dessous du tertre en question, sur les flancs d’une colline abrupte et sauvage, au pied de laquelle s’étend un vallon solitaire, marécageux, inabordable, refuge nocturne des oiseaux de proie et des bêtes sauvages.
L’aspect désolé de ces lieux n’a pas dû changer beaucoup depuis les temps primitifs. Une vaste dalle debout, mais ensevelie par le temps sous les éboulis, fermait l’entrée de cette grotte oubliée depuis tant de siècles. Découverte dans les années 1850, elle fut malheureusement fouillée, déblayée sans aucun ordre, sans esprit de recherche, l’importance de pareilles sépultures étant inconnue à cette époque.
On y trouva environ quarante squelettes d’hommes, de femmes et d’enfants, séparés entre eux par de grandes dalles. Le tout fut rejeté en dehors du caveau, sans qu’on prêta la moindre attention aux objets intéressants, tels que vases et silex qui devaient accompagner ces corps.
Une fouille que nous avons essayée aux abords de cette grotte et à travers une couche d’ossements, nous a fait reconnaître, dans ces débris humains, entremêlés de fragments de silex et de poterie, une grande partie des imperfection organiques qui appartiennent à cette race : perforation des humérus, aplatissement des tibias, crânes épais et étroits, têtes allongées et dents obliques. La taille de ces hommes était à peu près la même la même que celle de nos jours. Dissipons ici un préjugé que beaucoup de gens, même lettrés, partagent encore, qui consiste à croire que l’homme primitif était beaucoup plus grand que l’homme moderne. A part quelques individus fossiles trouvés dans les cavernes du midi, et mesurant près de deux mètres, il est démontré qu’en général l’homme de l’âge de la pierre était, sous le rapport de la taille, plutôt au-dessous qu’au-dessus de la moyenne actuelle.
Quant au corps de cette femme, inhumé isolément dans le parc, on peut se demander pourquoi il ne fut pas déposé dans « La Grotte des Morts ». La seule explication probable est que cette inhumation a dû être bien antérieure au creusement de ce tombeau de famille.
Un caveau funéraire à Orrouy
Cette grotte nous amène naturellement à évoquer la découverte d’un caveau funéraire de la même époque sur la commune d’Orrouy. Ce caveau funéraire situé sur la pente d’une colline dite « Le Mont Mègre » présentait les mêmes conditions. Cette fois, le déblaiement de cette grotte sépulcrale a été faite avec plus de discernement.
Le propriétaire du terrain a fait mettre de côté tout ce qui a paru présenter un intérêt archéologique : des haches polies, des fragments de poteries et des têtes de lance en silex d’un fort beau travail.
L’Académie de Médecine, à qui on avait envoyé certains crânes provenant de ce caveau, a même rédigé un mémoire très intéressant sur cette découverte.
Nous avons également retrouvé l’emplacement qu’occupait la tribu d’Orrouy, dont les chefs se faisaient inhumer dans la grotte du « Mont Mègre ». Cette tribu campait sur les bords du plateau calcaire appelé « La Plaine aux Brebis ». Nous y avons trouvé tout ce qui caractérise, comme à Glaignes, l’époque de la pierre polie : grattoirs, haches, flèches, percuteurs, etc. Nous avons également recueilli sur ce tertre une véritable merveille d’art : une tête de flèche ciselée avec une délicatesse et une perfection que l’on a peine à expliquer de nos jours. Nous n’en avons pas vu de plus parfaite dans aucun musée.
Plus tard, après l’introduction des métaux, ces peuplades sont descendues de la montagne pour se grouper insensiblement autour de la résidence du chef, représentée par le château actuel. Ceci s’applique également à Glaignes.
Des restes encore plus anciens
Revenons à Glaignes où nous devons signaler toute l’importance de nos découvertes.
En y constatant l’âge de la pierre polie (ainsi nommée car à cette époque l’homme, ayant gagné en habileté dans l’art de préparer le silex, polissait ses haches au lieu de les tailler à grands éclats comme au premier âge de la pierre), nous pensions avoir atteint l’extrême limite de l’origine de la population de ce pays. Nous en étions fort loin car au-dessous de cette station humaine préhistorique, nous en avons découvert une autre, infiniment plus ancienne et appartenant à l’homme quaternaire, le contemporain du mammouth.
Les conditions dans lesquelles elle se présente, la nature exceptionnelle des instruments qu’on y découvre, constituent un fait si nouveau, si inattendu, même pour les amateurs, que nous n’oserions pas l’énoncer si quatre années de recherches et d’études attentives ne nous autorisaient à en hasarder quelques mots.
Ce sont bien là les traces de l’homme quaternaire, autrement dit « l’homme antédiluvien ». On le nomme ainsi parce qu’il a vécu avant et surtout pendant la grande période glaciaire, dont les inondations diluviennes, causées chaque année par la fonte d’énormes amas de neiges et de glaces, et répétées pendant un nombre considérable de siècles, ont peu à peu modifié le relief des continents, creusé nos vallées et donné à notre sol sa configuration actuelle.
On le nomme ainsi, en langage scientifique, « l’homme des cavernes », car, généralement, il habitait, comme les animaux, les fentes des rochers et les cavernes. Ces cavernes, qui ont échappé à la destruction dans bien des pays, sont maintenant fouillées avec le plus grand soin, et les objets étranges qu’on en exhume tendent à modifier singulièrement les anciennes données historiques sur les débuts de l’humanité en Europe.
Cette race d’hommes, dite « antédiluvienne », dont on retrouve maintenant les traces dans le monde entier, séjournait donc, dès l’origine, sur le tertre que nous avons décrit plus haut.
Sur un espace considérable, le sous-sol est littéralement pavé de ses instruments, dont les caractères, au premier aperçu, échappent aux amateurs mêmes les plus exercés. Il y a là tous les débris de nombreux ateliers pour la préparation des peaux, industrie de première nécessité pour l’homme de la période glaciaire.
On y rencontre des grattoirs de toutes les formes et de toutes les tailles, des polissoirs, des perçoirs, et même de grandes dalles lissées sur lesquelles s’accomplissait le travail. Quelques-uns de ces grattoirs mesurent près de quarante centimètres de long et pèsent jusqu’à dix kilogrammes. Ceci s’explique par le fait que l’homme quaternaire, contemporain de l’urus, du mammouth et du rhinocéros, qu’il chassait, et dont il mangeait la chair, devait ensuite préparer, à l’aide de puissants instruments, les épaisses peaux de ces pachydermes -espèces disparues depuis longtemps du globe-.
Au milieu de ces débris, nous avons également découvert quelques pendants d’oreille, des espèces d’amulettes, et même des objets licencieux qui prouvent que l’homme a été le même de tous temps.
Nous devons dire que ces nouveaux instruments quaternaires ont été retrouvés, non-seulement à Glaignes, mais dans une grande partie du Valois et du Soissonnais.
A l’occasion d’une tombe perdue et oubliée depuis plus de trente siècles dans le parc de M. le vicomte de Chézelles, nous nous sommes laissés entraîner dans des développements scientifiques, un peu longs peut-être, mais les esprits sérieux, qui aiment à pénétrer les mystères de nos origines, nous le pardonneront sans doute.
Virgile CALLAND
Ancien conservateur de la bibliothèque et du Musée de la Ville de Soissons